Pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours ?
Originaires des Hautes-Vosges, nous avons fait nos études à Strasbourg puis Paris. J’ai (Jean) fait de la recherche universitaire en histoire de l’Asie et Céline en langue et littérature japonaise.
Nos diplômes en poche on est retourné vivre un temps dans nos montagnes. En ce moment, Céline est la médiatrice scientifique d’un musée de géologie ; quant à moi, je m’occupe du développement culturel d’un site historique pour lequel je suis également guide (anciennes mines du XVIe siècle).
Le jeu c’est une passion pour vous ?
Bien sûr, le jeu est une passion pour nous : sous toutes ses formes d’ailleurs.
Même si on jouait déjà à des jeux de société depuis très longtemps (je me souviens des nombreuses parties de Citadelles à la sortie du jeu), on s’est vraiment pris dedans pendant nos années d’étude – et notamment avec la découverte du Seigneur des Anneaux de R. Knizia, qui a fait l’effet d’une bombe. On découvrait le jeu coopératif !
Comment vous est venue l’idée de votre jeu ? Et quelles étaient vos motivations ?
Céline et moi jouions vraiment très souvent aux jeux de sociétés avec deux très bons amis. Et puis ils sont partis durant un an pour faire le tour de l’Asie. Il a fallu qu’on se retranche sur des jeux 2 joueurs : on s’est alors rendu compte qu’il y en avait pas beaucoup…
Ashraka provient directement de ce désir de jouer à des jeux à deux. C’était l’élément déclencheur : le reste s’est tissé ensuite.
Combien de temps avez-vous mis à le concevoir ?
On a commencé à l’été 2017 et on l’a présenté pour la première fois à Jeux & Cie d’Épinal au printemps 2018. Il a fallu une bonne année pour parfaire son gameplay mais aujourd’hui encore on a pas tout à fait fini de le développer car il s’agit d’un jeu à aventures successives.
Et c’est un peu sans fin ; il y a toujours de nouveaux éléments que l’on peut vouloir intégrer.
Quelles ont été les étapes de la création du jeu ?
Ashraka est un « gros » jeu d’aventure dans le sens où il fait appel à beaucoup de choses : une mécanique globale d’exploration/parcours ; un système de combat scriptés au tour par tour ; une immersion textuelle avec une forte progression narrative ; une évolution en campagne avec du legacy ; tout cela dans la contrainte d’une certaine rejouabilité et d’un équilibre global cohérent (bien qu’imparfait).
C’était donc un projet très long à développer et à mettre en place : travailler à deux à été essentiel !
Quand on a été suffisamment satisfait de la mouture, on s’est attaqué à le mettre en image et à trouver la meilleure manière de le mettre sur table.
Avez-vous fait tester votre jeu à votre famille, par des amis, une association, des spécialistes ?
En raison de son format particulier, on ne s’y est pas pris comme les autres jeux que j’ai (Jean) développé. On l’a fait tester à moins de monde, mais plus souvent et plus longtemps auprès de mêmes duos de joueurs. Une nouvelle fois les salons/festivals ont été l’étape suivante pour la confrontation avec les éditeurs et le retour grand public.
Pourquoi avoir choisi le Flip et son concours de créateurs pour présenter votre création ?
Le FLIP a pour particularité de soumettre les jeux à un jury issu du monde ludique. Couplé à une présentation au public, le festival est l’occasion de recueillir à la fois les avis des joueurs et des professionnels (éditeurs mais aussi distributeurs, ludothécaires, responsables de boutiques, journalistes, etc.) et de partager avec les autres auteurs.
C’était l’opportunité de confronter au grand jour les avis et ressentis de tous les points de vue. C’est ce qui fait, selon nous, toute la force du FLIP et qui explique qu’il soit l’un des concours de créateurs les plus réputés.
De cette aventure à Parthenay, est-ce que des éléments déclencheurs se sont faits jour pour entrevoir l’édition et la commercialisation de votre jeu ?
Oui bien sûr, même si ce ne sont pas toujours des adaptations réalisables ou des éléments faciles à mettre en place. Ashraka est un jeu plutôt trans-format qui n’est pas aisé à projeter dans le schéma classique.
Paradoxalement, c’est son originalité qui fait émerger ses barrières.
Ainsi, d’un point de vue purement éditorial, il apparaît important d’élargir le public ciblé en ne le destinant pas uniquement au format 2 joueurs. Nous sommes donc entrain de revenir sur le fondement même de son gameplay pour le transformer en 2 à 4 joueurs. C’est un défi de taille lorsque l’on ne veut pas dénaturer son intention initiale.
L’autre défi, dans le cadre des jeux en campagne, est la limitation du matériel : notamment des plateaux de jeu et des éléments textuels. C’est un véritable challenge qu’on a tenté de relever depuis le tout premier prototype.
Est-ce que vous avez d’autres projets de jeux en cours ?
Nous n’avons pas commencé d’autres créations à quatre mains pour le moment. Mais en ce qui me concerne (Jean), j’ai toujours trop de projets en cours : heureusement, je n’en retiens que très peu.
Quand je commence à développer un jeu, il me faut toujours un certain temps avant de parvenir à me projeter avec. Si le feeling n’est finalement pas le bon, je passe à autre chose. Je ne me lance véritablement que dans les protos qui me parlent : et ce peut être tout et n’importe quoi !
Je suis par exemple en train de développer un party game de déduction basé sur un simple jeu de 54 cartes ; un jeu minimaliste inspiré de l’école japonaise ; un jeu de placement de tuiles et de collection ; ainsi qu’un escape game !
Quelles sont vos attentes perso et pro à travers le développement de ce jeu sur la planète ludique ?
D’un point de vue personnel ; on aimerait montrer qu’on est nombreux à rechercher des jeux pour 2 joueurs, des jeux immersifs, et des jeux narratifs. Il en faut plus dans les boutiques !
D’un point de vue professionnel : on souhaiterait travailler avec un éditeur qui partage notre intention et qui me (Jean) permette de développer en profondeur la narration de mon univers. Pour Céline : voir un talentueux illustrateur mettre son jeu en image !
Quels conseils pouvez-vous donner aux personnes qui souhaitent créer des jeux ?
Très honnêtement, on ne pense pas avoir suffisamment de recul pour pouvoir donner des conseils à qui que ce soit.
Si un auteur a l’envie de proposer, de partager quelque chose et qu’il s’y investit assez, on est persuadé qu’il pourra toujours parvenir à un résultat qui donne envie d’être joué.
Bien sûr, cela ne suffit pas toujours pour l’édition !
Avez-vous une référence inspirante en rapport avec votre métier, votre motivation dans la vie ?
Question compliquée ! J’en (Jean) ai tellement ! Plus sérieusement, si je devais me limiter à l’univers des jeux de société ; je citerais deux auteurs. Le premier, Antoine Bauza, parce que je trouve toujours ses jeux exceptionnels, vraiment. Le second, Bruno Faidutti, pour son impact et son investissement dans le monde du jeu.
Céline trouve ses motivations au travers sa passion de toujours : le Japon. Sa culture, son esthétisme, sa langue, etc. Très inspirant !
Enfin, en ce qui concerne l’univers de notre jeu Ashraka : il tire ses racines de l’œuvre de Hironobu Sakaguchi et du roman Les Garennes de Watership Down de Richard Adams (qu’on invite tout le monde à lire !).
Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions
Etienne Delorme – 03 novembre 2020